L’algonquin, une langue à la croisée des chemins

4 juillet 2017

Le Québec est l’hôte de onze nations autochtones reconnues par le gouvernement fédéral, chacune parlant sa propre langue. Certaines de ces langues sont encore parlées par des milliers de locuteurs. Plusieurs sont sur la voie rapide de l’extinction. Cet été, Le Devoir rencontre chaque semaine un locuteur d’une de ses langues. Voici David Kistabish, chef de la communauté algonquine, ou anishnaabe, de Pikogan, en Abitibi.

La mère de David Kistabish, le chef du conseil de la Première Nation d’Abitibiwinni, a traduit durant 17 ans, avec un groupe de travail, le Nouveau Testament du français à l’algonquin. Elle a aussi travaillé à concevoir le matériel pédagogique qui sert dans les cours de langue et culture algonquine qui sont donnés à l’école primaire de la réserve.

Aussi le jeune David a-t-il grandi en langue algonquine à la maison, avant d’apprendre le français à l’école. « Je ne peux pas dire que je maîtrise à 100 % la langue, dit David Kistabish. Mais j’ai parlé l’algonquin avant même de parler français. Ça, c’était la volonté de mes parents. Au début, à la maternelle, je ne parlais pas un mot de français. J’ai appris tout mon français à partir de là », se souvient-il aujourd’hui, dans un excellent français.

Pensionnats

Il a eu cet avantage entre autres parce que ses parents n’ont pas fréquenté les pensionnats indiens, et qu’ils ont donc gardé une très bonne maîtrise de leur langue.

« Ils étaient les plus jeunes de leur famille. Leurs grands frères et leurs grandes soeurs étaient allés au pensionnat. » David Kistabish situe la période des pensionnats pour sa région environ entre 1955 et 1973. Cette période marque une grosse coupure dans la transmission de la langue algonquine. C’est l’époque où des agents de la Gendarmerie royale du Canada sont allés chercher les enfants autochtones dans leur famille pour les éduquer au loin, et « tuer l’Indien dans chaque petit Anishnaabe, dans chaque Algonquin ».

« Mes cousins, ils comprennent la langue. Mais ils ne l’ont pas pratiquée comme j’ai eu la chance de le faire. Moi, j’ai eu beaucoup de perfectionnement avec mes grands-parents. Quand j’étais plus jeune, on allait dans le bois. Avec eux, c’est automatique, je parle algonquin. Parce qu’ils parlent seulement l’algonquin. »

David Kistabish a 34 ans. Il considère que les gens de son âge qui parlent l’algonquin se comptent sur les doigts d’une main. À l’école de bande de Pikogan, qui accueille les enfants de niveau primaire de la communauté, on donne bien des cours de langue et de culture algonquines. Frances Mowatt, la mère de David Kistabish, enseigne ces matières depuis des années. Pourtant, malgré tout, de moins en moins de jeunes Algonquins maîtrisent leur langue, remarque David Kistabish. 

« Quand je parle avec ma mère, dans la vie de tous les jours, je parle en français, dit-il. Et c’est pourtant elle qui m’a appris la langue algonquine. Ma mère enseigne la langue et la culture algonquine et elle a travaillé 17 ans à la traduction du Nouveau Testament. Mais quand je parle avec elle, je parle en français. Je n’ai pas d’explication logique à ça, mais c’est plus facile de parler français. C’est une habitude. On est tout près d’Amos. On n’est pas une communauté qui est si éloignée. »

Cassure intergénérationnelle

L’évolution de la langue elle-même témoigne de cette cassure intergénérationnelle.

« Il y a des mots que mes grands-parents ne savent pas dire en algonquin. Comme un “micro-ondes”, par exemple. Ça n’existait pas dans le temps. C’est une vieille langue. Quand je fais référence à un téléphone cellulaire, à une conférence téléphonique, à un ordinateur, je ne trouve pas le mot en algonquin. »

La langue algonquine, quant à elle, est une langue très descriptive, explique-t-il. « Si je parle d’un cheval, par exemple. Dans le temps, ils étaient habitués de voir des orignaux. Or, les orignaux, ils ont deux ongles à chaque sabot. Le cheval, il a juste un ongle par pied. Alors, le nom du cheval se dit : celui qui a un ongle par pied. Si je pousse plus loin et que je parle de la girafe, je vais dire, l’animal qui a un ongle par pied et un long cou. »

David Kistabish est très heureux de maîtriser le français. « Cela me permet de parler aujourd’hui avec vous », dit-il. Mais en tant que chef de sa communauté, il est conscient de l’importance de la langue. « La langue française est plus facile dans la vie de tous les jours. Mais j’ai conscience qu’il faut préserver la langue. »

S’il parle algonquin avec ses enfants, dont la mère est québécoise, il reconnaît que transmettre cet héritage est « plus difficile que ça en a l’air ». Pour que sa conjointe comprenne bien ce qu’il dit aux enfants, il doit traduire en français. « J’ai l’impression de répéter constamment. »

Reste qu’il constate présentement une certaine prise de conscience de l’importance de l’héritage linguistique algonquin dans la communauté. 

« On sent une espèce de réveil chez les gens. On veut se réapproprier la langue. Les jeunes se rendent compte qu’ils ne parlent plus nécessairement leur langue, ou qu’ils ne comprennent pas quand on leur parle algonquin. »

Lorsqu’on lui demande quels seraient ses souhaits en ce qui concerne le projet de la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, de légiférer en matière de langues autochtones, il répond : « Ça devrait être chaque communauté qui fait sa loi 101. C’est bien ça que vous avez, la loi 101 ? »

 

Trop rares donnéesLes données sur les locuteurs des langues autochtones sont rares et difficiles à interpréter. En 1992, le Conseil supérieur de la langue française a publié un dossier sur le sujet, dirigé par le linguiste Jacques Maurais. « Ces données n’ont jamais été mises à jour », dit Jacques Maurais. « Il faudrait qu’un démographe procède à une étude sérieuse à partir des données du recensement de 2011 sur les langues autochtones », écrit-il dans un blogue sur la question.

Quelques mots dalgonquin :

Bonjour ! : Kwe !

Comment ça va ? : Andachinab ?

Je n’ai rien (ça va bien): Kwanikoud

Merci ! : Migwetch !

Au revoir ! : Minawatch Kiga Wamin !

 

Cliquez ici pour lire l'article intégral de Caroline Montpetit - Le Devoir (4 juillet 2017)

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