Elles sont situées de part et d’autre de la ville de Val-d’Or ; l’une à l’embouchure de la rivière des Outaouais et du Grand Lac Victoria, l’autre en bordure de la rivière Harricana. La vie y est parfois rude et le temps s’y écoule doucement, mais depuis un an, il y flottait un vent d’espoir. À Kitcisakik, territoire de sable ensoleillé, il suffisait de mentionner « l’enquête », mercredi, pour que les résidants hochent la tête. « Il n’y aura pas d’accusations », a lancé la vaillante réceptionniste du centre de santé, en exhibant une copie d’un article de journal, entre deux appels. C’en était fini pour l’espérance. « Ils sont venus ici hier [mardi]. Deux policiers de Rouyn », a ajouté un autre Algonquin. Dans la communauté de moins de 400 personnes, le passage des hommes en uniforme a été remarqué. « Quand il y a des accusations, ils ne viennent pas nous voir », a-t-il soufflé, sur le ton de celui qui ne se laisse pas impressionner. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) peut bien se garder de confirmer la nouvelle d’ici vendredi : sur les territoires algonquins de l’Abitibi, la rumeur voyage vite et fait craindre le pire. Si aucun policier n’est accusé au terme de l’enquête du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sur les abus présumés de policiers de la Sûreté du Québec à l’endroit de femmes autochtones, la crise guette peut-être ces communautés dont l’équilibre est déjà plutôt fragile. « C’est un danger, ce qui se passe là. Il y en a des femmes là-dedans qui sont très vulnérables », s’inquiète Françoise Ruperthouse, rencontrée dans son bureau du conseil de bande de Pikogan, une communauté moderne située à 75 km au nord de Val-d’Or. « Il va y avoir une crise. Je suis sûre qu’il va y avoir une crise. Elles [les plaignantes] ne peuvent pas rester comme ça. Il y en a peut-être qui vont rechuter. Parce qu’il y en a qui se sont reprises en main depuis ce temps-là. Mais depuis hier [mardi]… elles sont dans un état de choc… Et même nous autres, on l’est », admet-elle, en marquant ses phrases avec des pauses. « La pointe de l’iceberg » Françoise Ruperthouse est triste, déçue, nerveuse. Le chef de sa communauté, David Kistabish, est plutôt inquiet. « Il y a 37 dossiers qui sont sortis », dit-il à propos du nombre de dossiers remis par le SPVM au DPCP. « C’est juste la pointe de l’iceberg. […] Il y en a qui n’ont pas parlé. Il y en a qui n’ont rien dit, qui ont attendu de voir le dénouement de cette histoire-là. Et là, ce qui va être véhiculé, ou ce qui est perçu comme message, c’est : peu importe ce que vous allez dire, peu importe la nature des sévices, eh bien ce ne sera pas pris au sérieux. » Tom Mapachee, aussi rencontré à Pikogan, met des mots sur l’arc d’espoir qui a animé sa communauté, et qui est en train de se briser. « Il y avait tellement ce sentiment : la ministre [Lise Thériault] pleurait à la télé, on se disait que les policiers allaient payer. Puis, on se réveille ce matin et il n’y a rien. Il n’y a rien », laisse-t-il tomber. Tour à tour, les conseillers Alain Hervieux et Françoise Ruperthouse admettent qu’ils ne laissent plus leurs filles se rendre seules à Val-d’Or. Quand l’appartenance autochtone apparaît dans les traits physiques, les regards sont trop lourds « en ville », disent-ils. « C’est rendu là. C’est fini. J’aimerais mieux que mes filles aillent à Montréal, à Rouyn », confie le conseiller Hervieux. De l’aide dans les communautés De retour au sud de Val-d’Or, à Kitcisakik, la chef Adrienne Anichinapeo lance un message aux femmes qui ont porté plainte : « Nous, comme leaders des communautés, on croit nos femmes, on croit ce qu’elles ont vécu, martèle-t-elle. On ne peut pas les abandonner, on ne peut pas les laisser tomber. » Et pour soutenir ces femmes, sa communauté, comme celle de David Kistabish, a besoin d’aide. Pour calmer la crise qui a secoué Val-d’Or (et le monde autochtone) l’automne dernier, le gouvernement du Québec a alloué 6,1 millions de dollars à des mesures qui doivent servir à « améliorer les conditions de vie des femmes autochtones ». Mais l’ensemble du lot est allé à des projets gérés par le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, dénoncent les chefs. « Les communautés, on n’a rien reçu pour donner les services. On les donne à même ce qu’on a, et qui est déjà insuffisant », illustre Adrienne Anichinapeo, dont la communauté doit encore se débrouiller sans électricité ni eau courante. « Ils ont débloqué des fonds, mais c’est surtout allé dans le milieu urbain. Qu’est-ce qui en est ici ? À Lac-Simon, à Kitcisakik, ici à Pikogan, il n’y a rien », ajoute David Kistabish. Cliquez ici pour lire l'article intégral de Marie-Michèle Sioui - Le Devoir, 17 novembre 2016